INTERVIEW


JEUNESSE AUX CŒURS ARDENTS

 

Votre film est une sorte d’hommage rendu aux anciens combattants, et les valeurs militaires vantées auprès de la jeunesse.. comment vous est venue le désir d’aborder un tel sujet ?

Eh bien, la Légion, je voulais moi-même m’y engager lorsque j’avais 16 ans. Lorsque j’étais jeune ça représentait mon idéal. Je pouvais y trouver une famille, changer de nom, servir mon drapeau, car en tant que pupille de l’Etat, ça avait un sens pour moi. Mais finalement mon parcours a été différent, je suis montée à Paris et j’ai fait des films. Je savais d’ailleurs qu’un jour je ferai un film qui rendrait hommage aux soldats. A la mort de mon voisin, Pierre Schoendoerffer, j’ai commencé à écrire ce scénario qui parle de transmission entre un ancien et un jeune qui s’engage, puis j’ai mis le scénario de côté pour qu’il mature, j’ai alors réalisé La Morsure des Dieux, puis j’ai repris le cours de mon histoire et j’ai tourné le film en août 2017.

 

 

La jeunesse du film est en quête d’héroïsme, elle se remémore les batailles passées… elle semble dans une quête un peu vaine et peut-être un peu désuète aujourd’hui…

Je crois qu’au contraire elle est essentielle, et il me semble que beaucoup de nos jeunes sont en quête comme les jeunes gens de mon film.

Vous savez, lorsqu’on vient d’ailleurs, ou qu’on a eu un parcours identitaire un peu chaotique, il est nécessaire de pouvoir épouser l’histoire belle et forte d’un pays. C’est en célébrant des héros, qu’on se sent aussi fier d’appartenir à une patrie.

Bien sûr, il ne faut pas tomber dans l’extrême, ou dans l’arrogance d’un sentiment de supériorité. Mais il faut savoir transmettre la beauté et la grandeur de notre histoire, et le respect de la beauté et la grandeur de l’histoire d’autres peuples.

Malheureusement en France, lorsqu’on se risque à exprimer ce désir ce n’est pas toujours bien perçu, on célèbre beaucoup nos échecs, nos manquements, nos crimes, mais on oublie souvent ce qui tire vers le haut.

 

 

Le film donne tout de même une vision plus sévère sur ces guerres coloniales  passées, par le personnage du père de David. Et d’ailleurs, son fils le rejette…

Disons que David se choisit pour modèle un ancien de la Légion, et effectivement il ne se retrouve pas dans les valeurs que porte son père. Mais ce qui me semblait intéressant de montrer, ça n’est pas tant ce rejet de David vis-à-vis de son père, que surtout l’acceptation bienveillante de son père de voir son fils se choisir un autre modèle que lui.

Le personnage du père apporte un certain équilibre au film, son regard est critique face à l’histoire et il me semblait bien aussi de le montrer.

 

 

Il est peu commun de voir une femme si admirative de La Légion étrangère…

Vous savez, ce qui me plait tant dans la Légion, c’est un idéal de société. Chaque homme y a sa place dans l’entraide et la réelle fraternité, tous sont au service d’un drapeau et regardent le même horizon avec humilité, espoir et désir de servir.

En fait je crois beaucoup en la Légion, mais je crois moins en ce que devient la société civile, dans laquelle il n’y a plus d’ordre, ni de fraternité réelle.

 

 

Il y a dans votre film de véritables anciens combattants, comment s’est passé votre collaboration ?

Eh bien, j’ai eu la chance de les rencontrer par le biais d’associations d’anciens combattants. Je leur ai expliqué mon projet, mon parcours. J’ai parfois dû rencontrer plusieurs fois certains d’entre eux, car ces hommes ne donnent pas si facilement leur confiance. Mais une fois qu’ils m’ont donné leur accord, alors ils ont été avec moi à 100%.

Vous savez, j’ai vécu des moments très forts. Certains avaient fait l’Indochine, et semblaient très marqués par cette guerre pourtant si lointaine… J’ai été très touchée par leur témoignage.

Pour tout vous confier, lorsque j’ai lancé ce projet de film, je ne réalisais pas pleinement l’importance que certaines scènes auraient pour mes anciens. C’est une fois, dans le tournage, que j’ai compris. Il est arrivé par exemple, que durant la remise de clairon à David, un des anciens pleure pour de vrai, car il s’est souvenu à ce moment de ses camarades morts au combat. Je me souviens que j’étais derrière mon retour vidéo, j’étais émue, et j’ai compris que mon film résonnerait peut-être très particulièrement pour certains spectateurs qui ont vraiment connu ces guerres.

 

 

Dans le film, il y a une scène assez incroyable entre des jeunes issus de la migration magrhébine qui s’opposent les uns aux autres à propos de la colonisation française… comment avez-vous convaincu les comédiens de jouer une telle scène ?

Je n’ai pas eu besoin de les convaincre. Je leur ai expliqué mes motivations à faire cette scène, j’ai proposé à Walid qui jouait le chef des djihadistes dans La Chute des Hommes d’incarner cette fois un défenseur des Occidentaux venus en Algérie. Il m’a tout de suite donné son accord.

Vous savez, je sais ce que je dois aux deux pays ; l’un m’a donné la vie (la Kabylie), et l’autre m’a sauvé la vie (la France).

Dans mon film, j’ai tenté de mettre de l’humanisme dans tout ça, et aussi la reconnaissance – bien trop rare à mes yeux -  que l’on doit aussi aux soldats de ces guerres. Je sais que ça dérange un peu de dire cela, mais ça m’est égal. Beaucoup de soldats ont perdu la vie sur ces terres lointaines, beaucoup d’entre eux sont partis avec au cœur un certain idéal (même si je pense que toute colonisation d’un autre peuple est une erreur), mais malgré tout, j’ai voulu montrer dans mon film l’humanité de ces soldats. Car il y a eu de grands hommes qui ont aimé ces pays, réellement. Et d’eux, nous n’en parlons jamais.

 

 

On dit que le milieu militaire est assez machiste… comment avez fait pour convaincre des militaires de tourner dans votre film ?

Avant mon film, je ne connaissais pas ce monde, que par l’admiration qu’il m’inspirait.

Pour le film, j’ai dû échanger avec pas mal de soldats, de La Légion ou de l’armée régulière, des gradés ou des Képis-Blancs. Ce qui m’a marqué à la fréquentation de ces hommes, c’est leur infinie courtoisie, et le sens de la parole donnée. 

Ça m’a beaucoup impressionnée, parce que dans mon milieu – celui du cinéma – la parole donnée n’a pas toujours autant d’importance…

Au cours de la fabrication du film, des militaires, très gradés ou sans grade, m’ont donné leur confiance et cette confiance m’a aidée et m’a portée.

En 20 ans de cinéma, j’ai toujours été exclue des organismes officiels et je n’ai jamais eu de soutien de ces institutions dont c’était pourtant la mission de m’aider, je pense au CNC notamment. eh bien, dans l’armée, parfois critiquée par les gens du civil, L’ASAF, Les Gueules Cassées, la Fédération Maginot, La Légion, tous ont été solidaires de mon projet, certains m’ont même donné un peu d’argent pour faire mon film, sans se soucier du fait que je ne venais pas de leur monde, ni si j’avais des « entrées » comme on dit. Je me suis présentée à eux, avec mon parcours et ils m’ont tendu la main.

 

 

Vous poursuivez vos films sur des sujets délicats et explosifs.

Je suis libre et je fais le cinéma qui parle du monde dans lequel je vis. J’essaie simplement d’être témoin de mon temps.

 

 

Le personnage principal de votre film, David accompagne Adam, un ami, dans la cour d’honneur des Invalides. Ils se postent tout deux devant la statue de Napoléon. Alors Adam lui parle de l’admiration « pour ces grands hommes », il lui parle de son héritage, mais aussi de grandes figures guerrières africaines, comme le Roi Samory Touré. Cette jeunesse donne l’impression d’avoir besoin de renouer avec des figures de grands guerriers…

Les jeunes ont besoin d’avoir des héros. Adam va vers Napoléon et David admire un ancien de la Légion. Chacun se choisit ses mythes, ses références, ses socles en quelque sorte.

Il me semble que lorsqu’on est adolescent, on est attiré par la beauté, la force, la grandeur, je sais que ça peut paraît primaire pour le bourgeois cultivé, mais c’est comme ça. En tout cas, c’était comme ça pour ma jeunesse, celle de mes amis, et celle du héros de mon film.

 

 

Quel est votre prochain projet pour le cinéma ?

Le Centre National du Cinéma vient de me refuser une subvention pour mon prochain film dont le thème principal évoque les blessures invisibles du soldat et je commence à être épuisée de faire mes films avec des bouts de ficelle....mais j’y arriverai.

J’ai aussi d’autres projets en dehors du cinéma comme, en ce moment, un autre grand rêve qui m’attire : le parfum. C’est un monde qui me fascine depuis toujours. J’en ai d’ailleurs parfois parlé dans mes films.

Il n’est pas impossible que j’aille visiter ce monde quelques temps…